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Un théâtre est mort

Geneva, 2004

Writings
Le théâtre est un art superflu. Personne n’y va plus au jour d’aujourd'hui, si on ne compte pas ceux qui font du théâtre eux-mêmes. Nous nous regardons le nombril. Parfois le théâtre attire en tant qu’évènement jet-set, un parmi d'autres highlights culturels où l’on se doit d’aller en tant que citoyen se croyant cultivé. Le théâtre vit donc isolé, en ermite- nourri par les aumônes de l'état qui se réduisent d'année en année, la volonté d'une politique culturelle libérale étant de le faire mourir puisqu'il ne sert plus à rien sur le plan économique et culturel. Voilà la place minable que le théâtre prend dans notre monde actuel. Seul peut survivre un théâtre terroriste. C'est-à-dire un théâtre clandestin, non-subventionné, secret. Un théâtre qui se nourrit d'une nécessité vitale. Faire une pièce doit avoir l'impacte de poser une bombe. Pour faire ce théâtre, alors démuni d'argent et de lieu, il faudra, pour qu'il puisse subsister, si l'on le voudra, une solidarité populaire plus au moins invisible. On invite chez soi parce qu’on aime le ou les artistes et ce qu'ils ont à dire, on lui ou leur donne à manger, le public se rassemble par bouche à l'oreille. Les représentations seront courtes et uniques, par peur d’être démantelé. Ils se dérouleront dans des lieux choisis avec soin. Ça sera un théâtre plus personnel, plus important, plus pertinent. Les classiques nous servent à nous parler d'un autre temps, d'un temps ancien et ses valeurs en voie de disparition. Ils sont un outil de transmission et d'apprentissage. Des indicateurs de chemins. Je crois à l'importance du passé. Nous n'inventons plus rien, nous assimilons plus que de manières nouvelles. La politique manoeuvre pour qu'on oublie le passé, notre mémoire, notre Histoire. Car si on perd notre mémoire, on perd en même temps en résistance. Certaines oeuvres de Shakespeare, Tchekhov, Molière ne sont non seulement des oeuvres écrites dans une volonté de libération ou de révolte, elles sont aussi des exemples d'entités, de quelque chose de complet, rond, entier, accompli- qui provoquent par leur force artistique et beauté une explosion chez nous, encore aujourd'hui. Nous y avons plein à apprendre pour nous forger à écrire nos propres oeuvres. Il faut donc les dépasser, nous en libérer aussi, comme d'un père ou d'une mère, d'un héritage qui nous a nourri, qui fait, aussi, de nous ce que nous sommes- mais acquit sa vraie valeur que si, après l'avoir passer sous le scalpel, on le peut penser froidement. Le théâtre est subversif par définition. S’il n'est pas, ce n'est pas du théâtre mais de la télévision ou un autre outil politique pour endormir ses spectateurs. Tout est permis. Le théâtre n'a pas de limites, il s'arrête aux capacités humaines, c'est pourquoi c'est le plus beau des arts. Il peut tout intégrer, sa condition la plus pertinente c'est la rencontre à deux (groupes d’idées) qui se confrontent. C'est un dispositif d'union et de partage. Le théâtre est l'amour de l'Autre. Dans cet amour, tout est permis qui soit AVEC, même en étant contre. Même en ayant tort. Ce sont des actes et des paroles qui défient soi-même et l'autre. Cette union d'amour se doit être subversif, se doit être un affront contre l'ordre établi, contre la morale, contre le bienséant, sinon il perd sa véracité et son importance. Être subversif est donc non pas une question d’actes mais un état d’esprit. Une liberté de penser que tout nous est permis, une volonté de faire exploser ses propres barrières pour mieux affronter les prisons qu’on nous impose par l’extérieur. Être subversif c’est d’aller contre ces angoisses, ces fausses questions, ces idées préconçues ou morales que nous n’avons pas choisies par nous-mêmes. Être subversif c’est essayer d’être heureux.

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