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Matériau Meinhof

Brussels, 2006

Premiered on: November 17, 2006

Residence/ Writing / Show
Press:

Matériau Meinhof

Pendant l’entrée public, au son : Chronologie de la RAF (+ interview Sartre) ,
S’ensuivent les images et le son du film : « The truth lies in Rostock ».
Arrêt du son du film puis sur les images de « Rostock », la voix de Genet.

 

Rostock- une ville allemande.
Au bord du vide de la mer baltique.
Sa porte au monde reste fermée durant quatre décennies d’occupation soviétique,
alors que sur l’autre rive éclate « la guerre des 6 contre 60 millions ».

Deux Allemagnes- enfants de la guerre-
se combattent
dans les décombres
d’une humanité déchue
à la recherche du salut,
luttant non pas pour la vérité,
mais pour leur vérité,
vitale et radicale.

1978.
Je nais à Rostock
en Allemagne de l’Est.
Mon père chimiste,
ma mère laborantine.
Elle venant du sud,
lui du nord.
Son père à elle,
inconnu,
PDG d’une grande entreprise en République Fédérale,
son père à lui,
ministre au gouvernement
de la République Démocratique d’Allemagne.

Mon enfance se joue
dans le calme d’une ville provinciale,
au bord de la mer baltique.
Il y règne un langage autre,
un langage disparu.
Désormais. Etranger.
J’en ai appris d’autres depuis.

1989.
La porte au monde s’ouvre
avec la fin de la guerre froide.
C’est l’année de mes 11 ans.
On m’apprend un nouveau langage,
de nouveaux mots.
Noch ziehen die kalten Nebel schwer,
Doch kamen schon Vögel vom Süden her,
Und wohnen im Walde und singen schon
In leise verhaltenen Ton.

Ulrike.
Le mot dialogue se transforme
en monologue
et son écho
nous donne le sentiment d’être libre,
mais en quoi consiste donc
ce miracle de la liberté?
Tout simplement
dans la découverte soudaine que personne,
aucune puissance,
aucun être humain,
n’a le droit d’énoncer envers moi
des exigences telles
que mon désir de vivre
vienne à s’étioler.
Car si ce désir n’existe pas,
qu’est-ce qui peut alors exister?

Partout où que j’aille,
je ne demande,
je ne réclame
que d’être toléré,
moi-même
et mes fins insolites.
Et je juge
à cette tolérance
du degré de démocratie,
du degré de vérité qu’une société peut supporter,
ou bien du danger
qui menace tous les hommes.

1947.
L’Union Soviétique
propose des élections libres
pour toutes les zones occupées d’Allemagne.
Les alliées de l’Ouest
refusent la proposition
pour des » raisons de sécurité ».
10 mai 1952.

L’URSS
propose un contrat de paix avec l’Allemagne,
qui serait représenté
par un gouvernement réuni.
Quand les pouvoirs de l’Ouest répliquent
qu’un tel gouvernement
ne peut être constitué que
sur la base d’élections libres,
l’Union soviétique
propose de négocier sur la question.

Mais malgré le renouvellement de l’offre
de la part de l’URSS en 1954
il n’y a jamais eu de négociations.
Le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer
déclare en 1952:
» Nous devons d‘abord
augmenter notre puissance
et c’est ensuite que nous pourrons
nous occuper d’une re-organisation de l’Europe de l’Est.
Il ne s’agit pas seulement
de la zone est-allemande.
Il s’agit de libérer
toute l’Europe de l’Est,
de l’autre côté du rideau de fer. »

Ulrike. Que serai-t-il passé
si l’offre de l’Union soviétique
n’avait pas été décliné
et si, ses deux pays-frères,
avec leur idéologie propre à chacun
s’étaient donné la main,
avec la volonté d’un accord en commun ?

La lutte
Je ne connais pas
beaucoup de pays
qui ont une telle chance
et gagneraient autant à démontrer au reste du monde
un exemple de coexistence
telle que l’Allemagne séparée.

La politique intérieure et extérieure de la RFA,
C’est-à-dire : la création de l’Europe,
le soutien de l’OTAN,
la mise au ban des communistes par les lois d’exception
ainsi que l’aide au développement
dépendent de la non-reconnaissance de la RDA.
Comment se fait-il
que la reconnaissance d’un Etat-frère
est conçue comme un fardeau ?

Protester
c’est dire :
telle ou telle chose,
je suis contre.
Résister
c’est quand je fais tout
pour que cette chose
n’arrive plus./

Nous voulions changer la société
de manière conséquente.
La société d’Allemagne de l’Ouest.
Pour une démocratie.
Notre rêve
était une démocratie
où le peuple puisse avoir
un vrai pouvoir de décision.
En militant,
en éclairant
et aussi en agissant.
Le fascisme
a réduit
à néant
l’Allemagne,
l’humanité.
Nous voulions changer ça.
Nous opposer
contre un gouvernement
social-démocrate
qui soutenait la guerre au Vietnam.

Lutter
contre le réarmement
de l’Allemagne après-guerre.
Et empêcher l’installation
d’un impérialisme américain
qui allait nous enfermer
dans une idéologie de propriété,
de production de biens
et de consommation.

Nous avions pris conscience
que les structures
qui avaient servi de base
au national-socialisme,
et qui avaient donné naissance
à la Seconde Guerre mondiale
n’avaient jamais été brisées en Allemagne fédérale.
Le régime qui avait succédé au IIIe Reich
avait uniquement changé
de façade
et de terminologie.

Nous avons rencontré des communistes
personnellement,
et nous nous sommes dit:
si ce que nous voulons est communiste,
alors notre action
ne peut qu’être juste./

Extrait de Willi Brandt
1958.
J’entre
au Parti Communiste Allemand,
interdit en RFA
depuis 1956.
L'anti-sémitisme
a été remplacé
par l’anticommunisme.
Notre directeur,
Max Reimann,
dirige le travail illégal
depuis la RDA.

Parmi les communistes,
beaucoup ont été dans la résistance contre Hitler.
Comme mon père,
pasteur évangéliste,
mort l’année de mes six ans.
Travailler avec eux
était donner corps
à une lutte anti-fasciste conséquente
dans une République fédérale
où beaucoup d’anciens nazis
possédaient encore des postes importants.

Extrait : Pouvoir de la vérité
1989. La réunification :
Pour nos premières élections libres en mars 1990
nous votons le catholique démocrate Helmut Kohl
qui nous promet l’union et la liberté pour tous.
Mais quelle est donc cette liberté ?

Sans fierté et sans emploi,
nous nous sentons prisonniers d’une liberté à laquelle,
nous ne savons même pas donner un sens, une liberté dont nous avons peur, qui effraie.
Derrière le mirage d’un paradis du bien- être, où chacun est son propre maître de libre pensée et d’action, se cache la volonté de nous rendre esclaves d’un pouvoir
autant que nous le fûment auparavant.
Nous devons nous battre pour notre vérité.
Mais à nous battre, nous n’avons pas appris.

Lancer une pierre,
c’est un acte criminel.
Lancer mille pierres,
c’est une action politique.
Brûler une bagnole,
c’est un acte criminel.
Brûler une centaine de bagnoles,
c’est une action politique. /

Ce que nous ,
nous voulions,
c’était la révolution. Il y avait un but,
et par rapport au but,
il n’y avait pas de position,
mais seulement le mouvement,
la lutte;
le rapport à l’être signifiait donc
combattre./
Nous devions résister.

« Libération »
est le terme juste,
non pas liberté.
Car qu’est- ce donc
que la liberté ?
Je ne peux éprouver
que ma propre liberté,
celle qui constitue
ma relation avec autrui.

Ulrike, mon enfant. Tu n’es pas la même que sur ton avis de recherche- une enfant esclave.

Moi, ta mère adoptive, ne suis-je pas une esclave moi-même ?
J’étais une jeune journaliste- star, admirée,
avec un certain talent pour la rhétorique
qui apportait ses opinions politiques très ciblées
à l’intérieur des salons de société,
où l’on ne savait qu’en faire.
J’étais une enfant chérie de la société.
Pas seulement tolérée mais volontiers acceptée et souvent invitée.
L’on se décorait avec moi.
Pas en tant que feuille de vigne gauchiste,
mais en tant qu’élément de gauche,
rééquilibrant l’éventail pluraliste.
D’une part,
je faisais partie de cette « upper-society « chic
et d’autre part
j’étais en contact avec les enfants de l’assistance publique
et faisais des rapports sur le travail à la chaîne.
Tout d’un coup, je vivais vraiment dans deux mondes. /

Extrait : Ulrike 2
J’ai toujours eu le sentiment
d’écrire mes articles
pour les instituteurs à la campagne et les gens isolés et dispersés,
quelque part dans les villages ou petites villes.
Pour ceux qui n’avaient pas
de relation organisée avec la gauche socialiste et qui,
ainsi,
par le biais d’un feuillet comme le « Konkret »
qu’ils achetaient au marchand de journaux,
et par ce que j’y écrivais,
pouvaient entrer en contact avec les discussions actuelles de la gauche,
y participer. /

Extrait : Ulrike 3
Je ne pensais pas du tout
que la rue était un moyen très approprié
pour se faire entendre.

Mais,
puisqu’on ne nous laisse plus que ce moyen-là.
C’est-à-dire
que quand tu n’es pas à la télévision
et que tu n’as pas
au moins une ou deux fois par semaine,
durant une heure ou deux,
la possibilité de dire
exactement ce que tu veux dire,
quand tu n’as pas accès
aux tirages à millions d’exemplaires de magazines ou journaux,
si,
quand tu veux discuter publiquement,
tu rencontres ou des interdictions de salles
ou des interdictions de rassemblement,
et, si, quand tu veux manifester,
tu rencontre des interdictions de manifestation,
même si là,
il s’agit déjà de la rue,
alors oui,
à ce moment-là,
je pense
que c’est une question de démocratie
qu’il y ait des gens
qui, malgré toutes ces interdictions,
utilisent et pratiquent
de manière publique
le seul moyen public,
à savoir la rue. /

Mais la résistance
de notre opposition extraparlementaire
nous a révélé,
Tout d’un coup,
le véritable état de notre démocratie :
Les classes dirigeantes
optaient pour la terreur
lorsque les démocrates
faisaient état de leurs droits
dans la rue.
Alors nous avons compris
que la liberté,
dans cet Etat,
était la liberté de la matraque policière
et la liberté de la presse,
la liberté de justifier cette matraque.
On fait partie
Ou du problème
Ou de la solution.
Entre les deux
Il n’y a rien.
Ne te laisse pas séduire par ceux qui ne veulent plus être esclaves. Tu ne peux pas les protéger. Reste une esclave. Tu as vu, comment les maîtres ont démantelé l’insurrection des esclaves, bien avant qu'elle ne commençât. Beaucoup ont péri mais toi, tu as survécu.

Extrait : Ulrike 1
Nous étions engagés
pour ceux qui essayaient
de se libérer de la terreur
et de la violence,
et puisqu’il ne leur restait
pas d’autre moyen
que celui de la guerre,
alors nous étions
pour cette guerre
et contre ceux
qui renforçaient la terreur
jusqu’à l’utilisation
d’armes nucléaires,
et c’est justement ce qui était discuté
concernant la guerre au Vietnam.
2001. Mon frère entre dans l’armée de l’air allemande pour travailler comme technicien à la conception des avions de chasse européens.
Deux personnes, frère et soeur- issues du même berceau –
perçoivent le monde qui les entoure de manière différente.
Et si les armes que l’on construisait étaient
celles de la conscience de notre valeur et de notre légitimité
en tant qu’individus au sein de la communauté
avec le but de combattre nos propres prisons
et celles d’une autorité, qui déjoue notre responsabilité ?
Auprès de qui le juste
ne s’assiérait-il pas

Pour aider la justice ?

Quel remède
paraîtrait trop amer

Au mourant ?

Quelle bassesse
ne commettrais-tu pas

Pour extirper la bassesse ?

Si tu pouvais enfin /changer le monde,
que n’accepterais-tu de faire ?

Qui es-tu ?
Enfonce-toi dans la fange,
Embrasse le boucher,
mais change le monde : il en a besoin !

Ceux, qui aujourd'hui s’acharnent contre les maîtres, ne connaissent pas le bonheur de l’avoir échappé belle. Profites-en, de rien d'autre tu ne pourras profiter sinon. La révolution est grande-
nous sommes trop petites pour elle. Ulrike, abandonne.

Extrait son : JT avis de recherche
Je voudrais déchirer l’humanité en deux
et demeurer dans le vide au milieu./
Supprimant tout principe d’espoir,
rejetant toute limite,
il est indifférent de tuer ce qui, déjà,
est voué à la mort.

Extrait : Les justes
"Il est horrible de tuer.

Pourtant nous tuons non seulement les autres
mais aussi nous-mêmes, quand il le faut.

Car seule la violence peut changer ce monde meurtrier, comme le savent tous les vivants.

Il ne nous est pas encore permis, disions-nous, de ne pas tuer.

C’est uniquement par la volonté inflexible de changer le monde que nous avons motivé cette décision."/

La liberté n’est possible que dans la lutte pour la libération./

Une vie sans idéal est une vie sans énergie. Une vie d’absence de soi.
L’idéal joue le même rôle dans la vie d’un homme que la vapeur chez une machine.
Mais comment défendre l’espace dans lequel je peux faire prévaloir mes idéaux,
quand l’activité politique se trouve soumise aux intérêts de pouvoir ?
La raison de mes idéaux ne se résout pas dans une activité isolée, à l’extérieur de moi.
Elle fait partie de moi et est ma raison de vivre.

Pour changer le monde :
De la colère et de la ténacité.
De la science et de l’indignation.
L’initiative rapide,
la réflexion profonde,
La froide patience,
la persévérance infinie,
La compréhension du particulier
et la compréhension du général.
C’est seulement
en étant instruits de la réalité,
que nous pouvons
Changer la réalité.

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